La bibliothèque numérique est elle possible?

Publié le par Benoit Mariage

[Les versions sonores et PDF de cette soirée sont maintenant disponibles ICI. ] 

 

Petit compte-rendu de la conférence «  la bibliothèque numérique est-elle possible ? » qui a eu lieu mercredi 30 novembre 2005 à Beaubourg organisée par le directeur de la bibliothèque publique d’information.

 

 Ces notes ne sont que le reflet forcément modeste de ce qui a été dit lors de cette soirée. J’ai choisi de ne mettre sur ce blog que mes notes pour ne pas trop déformer ce qui a été dit.

 

 I-PRESENTATION

Gérald Grunberg, directeur de la BPI, s’est chargé de présenter  le sujet de la conférence-débat. Il a rappelé que cette soirée faisait suite à une première réunion ayant eu lieu en juin qui avait pour objet de présenter le projet google print.

Il a présenté les quatre intervenants.

-Jean-Noël Jeanneney, président de la BNF, s’est illustré dans ce débat BNF/Google en l’initiant. On se rappellera de sa tribune publiée dans Le Monde et de son ouvrage Quand Google défie l’Europe.

-Patrick Bazin est directeur de la bibliothèque municipale de Lyon. Il a publié un article dans la revue medium intitulé « Après l’ordre du livre ».

-Michel Melot, ancien directeur de la BPI et ancien président du Conseil Supérieur des Bibliothèques, a écrit en 1989 l’ouvrage prémonitoire au sujet de la numérisation Propositions pour une grande bibliothèque

-Régis Debray, le père de la médiologie et le directeur de la revue medium

 II- INTERVENTION DE J.N JEANNENEY

 

 

Il évoque l’héritage des lumières encore présent dans les bibliothèques (encyclopédisme) pour placer le débat dans un temps plus long. Ainsi, il affirme que nous avons à faire au débat entre le « tout nouveau » et l’ « éternel ». Les questions de la médiation et du partage se posaient déjà au temps de Gutenberg ! Les médias nouveaux ne supprimant pas les anciens, la question est ailleurs. L’imprimerie a permis à certains peuples de s’affirmer plus vite que d’autres. Le débat se situe donc plutôt au niveau de la crainte de la domination d’une civilisation (celle du profit) sur une autre.

Si nous ne voulons pas que les réponses aux requêtes faites sur un moteur de recherche s’organisent sur des critères marchands, quelle alternative pour le page ranking ?

L’esprit de son projet (celui de la BNF) implique •la participation de tous les médiateurs dans cette réflexion. Il cite les libraires, les journalistes et les enseignants.

•Il souhaite aussi un monde multipolaire. Il signale les initiatives de numérisation entreprisent par les indiens et les chinois.

•Il souhaite que les pouvoirs publics financent ce genre de projet. (Il affirme préférer payer en qualité de contribuable qu’en qualité de consommateur).

•Il veut associer pleinement les éditeurs à son projet. Il évoque ainsi une réflexion commune sur le choix de critères pour organiser la numérisation. (Fragilité, rareté, documents constitutifs du socle de notre civilisation).

•Il moque l’effet d’annonce utilisé par Google qui prétend numériser 104 millions de d’ouvrages (ou pages !??), alors que lui ne parle que d’un à deux millions.

•Il craint deux choses pour l’aboutissement de ce projet : les dangers d’une dérive « gallo-centrée » et les lenteurs administratives.

•Mais, il reste optimiste car les acteurs sont nombreux à s’impliquer dans la numérisation et parce que le sujet est devenu une question de société.

 

 

 

III- P.BAZIN :

Bibliothécaire inquiet, il se pose la question de l’évolution de l’épistémologie des bibliothèques( sic), d’une régénération de l’humanisme. Il cadre l’épisode de la numérisation dans la grande « saga du texte ».

La bibliothèque numérique participe à l’ « expansion du phénomène bibliothécaire » qui pousse tous les jours d’avantage de personne à emprunter les pratiques des professionnels des bibliothèques. Par exemple, il affirme que tout le monde aujourd’hui fait de l’indexation sur son ordinateur personnel. La révolution, c’est internet ; pas la numérisation.

Il se pose la question de l’avenir du livre (comme outil de communication qui permet la constitution de communauté de culture) qui perd son rôle de pivot de la culture.

Ensuite, P.Bazin cite les aspects principaux qui constituent la révolution numérique.

Il évoque l’ « hypertexte dynamique auto organisateur » qui brouille les différences entre le contenu, le langage et les usages. Il illustre cette idée en évoquant la réinvention du rôle du lecteur qui grâce à l’hypertexte devient auteur de sa lecture.

Il s’inquiète ensuite de l’évolution des notions de mémoire, de patrimoine. Quel archivage pour le web ?

Ensuite, il évoque une série de solutions pour le bibliothécaire.

Il prône la constitution d’un espace public de la connaissance dans lequel les bibliothécaires communiqueraient pour vivre une expérience commune.

Il évoque les modalités d’intervention du bibliothécaire dans ce contexte nouveau. J’en ai retenu quelques unes.

-Il évoque le renseignement à distance des lecteurs (comme le pratique la BPI, par exemple) qui participe à la formation de chacun aux pratiques du bibliothécaire.

-Dans la relation usager/usager, le bibliothécaire peut avoir un rôle de médiateur.

-Au sujet de la constitution de la Mémoire, le bibliothécaire peut intervenir dans la constitution de mémoires singulières (de nouvelles formes de mémoire)

-Enfin, je termine par une idée qui est revenue souvent dans ses propos. Il insiste sur la nécessité de lier le local au global. Ainsi, la petite bibliothèque de quartier, dont l’avenir pourrait sembler sombre, doit tenir son rôle d’accompagnateur des lecteurs et elle doit tenir une place de choix  dans l’œuvre de singularisation nécessaire pour parvenir à structurer les connaissances. (une multitude de petites structures spécialisées sur le local et interconnectées entre elles constitueraient une bibliothèque globale)

 

 

 

IV- MICHEL MELOT

Il est entièrement d’accord avec le livre de J.N Jeanneney… jusqu’à la page 97… page sur laquelle il prône la constitution d’un comité d’experts pour choisir les livres à numériser.

Pour M.Melot, s’il est nécessaire de numériser(ne change rien à la fonction des bibliothèques), le problème essentiel est de faire un moteur de recherche qui n’aurait pas les défauts de Google. Dans l’opposition qui existe entre une logique des contenus et la logique des accès (qui seule intéresse Google), il affirme que les bibliothèques doivent veiller à ne pas trop pencher vers la logique des accès malgré les problèmes posés par le nombre de livre.

 

 Si la bibliothèque est un chaos (du fait de la diversité des contenus) qu’on cherche à organiser, le numérique ne fait qu’aggraver le problème.

 

 Le fond du problème réside dans la manière d’organiser les résultats offerts par les moteurs de recherche. Aujourd’hui, une page de résultats de google est similaire à un rouleau, support très peu pratique s’il en est.

 

 M.Melot affirme ici que l’article de P.Bazin apporte un plus au livre de J.N Jeanneney en proposant l’expertise du bibliothécaire qui détient une pratique avancée de la « métaculture » indispensable pour l’invention de la bibliothèque numérique qui reste à faire.

 

 V- Régis Debray

Il change l’échelle de lecture du débat en utilisant le filtre de la médiologie.

Il commence en cherchant à dépassionner –un peu- le débat.

Ainsi, il rappelle que les outils intellectuels sont toujours en retard sur les outils matériels. Il met en garde contre la confusion entre bibliothèque numérique et la numérisation. Il cite Pierre Lévy en affirmant que nous sommes dans « l’universel sans totalité ».

Ensuite, il rappelle un principe de la médiologie. Elle affirme que l’Homme s’hominise en utilisant l’outil, et elle s’interroge sur ce que l’outil fait à l’Homme ?

Ce débat est au cœur du questionnement médiologique (remplacez outil par internet dans la phrase précédente).

 

 L’encyclopédisme, c’est bien ! Mais il trouva très vite ses limites. Dans encyclopédisme, il y a « -cyclo -», donc l’idée que l’on peut enfermer la connaissance dans un tout. Nous arrivons dans une logique où le savoir est dans la question et non plus dans la réponse ! Le moteur de recherche est capable de trouver des réponses aux questions que le chercheur ne se pose pas !

Que faire ? M.Melot parle de la métalecture : il en rappelle les dangers. Il ne faut pas accepter l’illusion fournie par la tentation de remplacer la connaissance par l’information. « savoir que » est différent de « savoir ».

 

 Finalement, le rouleau que nous présente Google doit nous évoquer l’idée que l’ancien est toujours revalorisé par le nouveaux dans l’histoire des médias. Bref, l’Histoire continue.

 

 VI- LE DEBAT

Le débat qui a suivit a permis de préciser certains points déjà abordés. Gallica a été encensé. On s’est interrogé sur la place de l’U.E. Une question a été posé de la place laissée à la presse écrite dans la bibliothèque numérique dans le contexte de crise ; une autre question s’inquiétait de l’utilisation que l’éducation nationale pourrait faire de cette bibliothèque...

J’ai retenu de cet échange la mise en avant de la notion de « validation » de l’information. Wikipédia est comparé à une touffe ! Il faut s’inspirer du modèle des revues scientifiques qui reçoivent des dizaines de proposition d’article et n’en publie qu’une sélection effectuée par un comité d’expert (c’est l’idée de J.N Jeanneney pour choisir les livres à numériser). Ce dernier préfère la dissertation à l’empilement (qui serait très anglo-saxon). A la suite de la notion de validation, le débat aboutie à la notion de « traçabilité ». En effet, J.N Jeanneney pense que ce n’est pas le rôle du bibliothécaire d’assurer la validation. Par contre, il se doit d’assurer la traçabilité entre les documents. Il doit assurer les parcours des usagers… Le passé du bibliothécaire est révélé par la notion de collection. Elle s’effectuait par validation, par les choix, du professionnel qui ainsi faisait œuvre d’éducation. Face aux enjeux informationnels actuels, ce rôle ne suffit plus. Le bibliothécaire devra inventer des liens entre les documents (la traçabilité). L’indexation des requêtes est une piste à suivre…

 

 En conclusion, la bibliothèque numérique est souhaitable selon les intervenants. Le rôle des acteurs de la médiation est plus que jamais essentiel, même s’il doit être actualisé. Mais, nous aurons compris que les intervenants ont voulu rappeler que les enjeux et l’avenir des bibliothèques numériques se jouent aujourd’hui dans une réflexion et par l’action politique. ( Europe, multipolarité, civilisation du profit, domination…)

Publié dans BIBLIOTHECONOMIE

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P
Merci pour ceux qui n'habitent pas Paris!
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P
Merci Benoît!!!!!
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C
Merci pour ce copmte-rendu synthétique, très utile pour ceux qui n'ont pas pu assister à la conférence !
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